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Sois Poli (leçon sur la politesse)

1948, noir et blanc, muet (son manquant), 00:06:39, 16 mm
Guy Roustan, OCE de Marseille

Ce film éducatif montre les bons comportements à adopter par les jeunes écoliers.
Tourné avec la complicité des écoles publiques de Sausset et de Bois-Luzy à Marseille, il distingue mauvaise et bonne attitude.

"Ainsi que nous l’avions annoncé l’an dernier, nous avons sorti notre premier film pédagogique SOIS POLI à la réalisation duquel plusieurs collègues ont collaboré." (Maurice Philip, directeur de l’OCE, Rapport d’activité 1947-1948)
« La prise de vue, si elle n'atteint pas encore l'ampleur des autres branches de notre activité est sortie cependant du domaine du tâtonnement pour passer aux réalisations sérieuses. Outre les divers reportages de l'activité scolaire et post-scolaire, nous avons fini le montage du film "SOIS POLI" et terminé les prises de vue du film sur l'Ecole Moderne. Ces films sont réalisés avec l’entière collaboration du personnel enseignant et la participation exclusive des élèves de nos écoles. » (Maurice Philip, directeur de l’OCE, Rapport d’activité 1948-1949)

Générique : « L’Office cinématographique de l’enseignement présente » | « Sois poli » | « Scénario & prise de vues : M. Philip & G. Roustan - Dessins : M. Sicre & A. Verola » | « Avec le concours des Instituteurs & des élèves des Ecoles Publiques de Sausset & de Bois-Luzy (B-D-R) »

 

Analyse de Nicolas Palluau

Sois poli ou comment bien se tenir comme élève

 

Enseigner la norme

Ce court-métrage muet de 6’30’’ montre six séquences sur les normes de politesse en société joués par des élèves d’écoles élémentaires, leurs maîtres et maîtresses. Tourné dans la seconde moitié de la décennie 1940 il met en scène l’idéal et le contre-modèle.


Déroulé synthétique

Dans la cour d’une école rurale, la maîtresse siffle la fin de la récréation. Un grand élève est penché sur sa lecture. Un autre plus jeune passe devant tous les camarades, en bouscule un en tenant ostensiblement les mains dans les poches et conserve son béret sur la tête quand la maîtresse s’adresse à lui. Un travelling vertical le montre les mains dans les poches, le visage fermé et le béret sur la tête. La maîtresse appelle un autre garçon au sourire joyeux qui ôte le sien respectueusement. La maîtresse fait les cent pas pendant la récréation et deux élèves lui tournent autour, agaçant l’institutrice. La scène se rejoue dans la cour d’une autre école plus grande. Deux maîtres en blouse discutent pendant la récréation, ennuyés par une nuée d’élèves joueurs. Plan rapproché de brebis et d’agneaux entrant docilement à l’étable.

Devant la porte de l’école, le maître fait entrer les élèves en sermonnant celui qui ne se découvre pas. Dans la cour, une mère d’élève amène au maître son fils nouvel élève. Un groupe d’élèves curieux les entourent impoliment. 

Dans la cour de récréation, les joyeux corps à corps entre élèves vont bon train. Le maître fait former les rangs pour monter en salle. Les rangs défilent en ordre en entrant dans le bâtiment. Certains élèves ont les bras croisés. Deux élèves se disputent pour savoir qui sera devant jusqu’à l’intervention du maître.

Un élève se dirige vers une salle de classe depuis une galerie extérieure et frappe à la porte avec soin.

A l’heure du repas, la serviette nouée autour du cou, on se met à table. Le plat se mange à la cuillère dans une assiette creuse. Un élève tient incorrectement sa cuillère. On montre côte à côte le bon et le mauvais exemple. Un élève découpe soigneusement une saucisse avec ses couverts tandis qu’un autre utilise ses doigts pour prendre les aliments et en rejeter hors de l’assiette. Plan rapproché sur quatre poules picorant leurs grains puis une se tient dans le plat.

Devant l’entrée de l’école, un élève court sur le trottoir et bouscule une passante, faisant tomber son sac de provisions. Le garçon poursuit sa route puis se retourne et rit les mains sur les genoux en pointant du doigt sa victime. Un autre garçon s’approche d’elle et l’aide à ramasser ses provisions éparpillées sur le trottoir.

Dans une maison, une fillette joue du piano. Dans un jardin un garçonnet s’avance vers la caméra et soulève son chapeau. Visage souriant de la fillette.

Raconter les comportements socialement admis

Le court-métrage sert l’enseignement des normes de comportement en société dans les temps pendant lesquels les élèves échappent habituellement à la vigilance du maître. Une école d’une petite ville (Sausset-les-Pins) et une école d’un nouveau quartier marseillais (Bois-Luzy) servent de décor pour montrer que ces règles s’appliquent partout.

Le spectateur est frappé par le caractère didactique du film. La salle de classe est donc absente du film qui est une tentative de réguler les attitudes des élèves en récréation, à la cantine ou aux abords de l’école. La réalisation fraichement naïve témoigne d’un cinéma amateur bien visible dans les sourires complices des élèves et des adultes et rend compte de scènes soigneusement scénarisées et mises en scène.

 

Dans la première séquence, le traveling vertical ascendant semble décrire un individu patibulaire, les poings dans les poches, le visage fermé, le béret inamovible, porteur des stigmates de l’individu potentiellement suspect dans ce qui s’apparente à la description policière des attributs du jeune délinquant.

Il est vrai que pour ces enseignants, le problème du respect des normes concerne les garçons plus que les filles. Sois poli ne montre aucune fille dans des attitudes inappropriées. Elles n’ont pas d’individualités et demeurent dans la figuration. Le film est fidèle à l’idée selon laquelle les filles hors norme n’existent pas. Dès lors, Sois poli fait des garçons les héros du film, négatifs comme positifs.

Deux fois le film appuie sa démonstration en convoquant un bestiaire domestique. La première montre des ovins aux portes de l’étable dans un parfum de Provence rurale éternelle pour stigmatiser le désordre des élèves au retour de la récréation. La seconde montre des poules picorant leurs grains et le contre-modèle de celle ayant les tarses dans le plat.

L’ordre scolaire contre l’autonomie des élèves ?

De ce manuel de savoir-vivre scolaire, on reteindra le tout premier plan qui montre une maîtresse sifflant la fin de la récréation et donne le ton de l’enseignement vertical du comportement, dont le titre Sois poli donne le ton. Le film donne à penser que loin des enseignants, les élèves vivent dans une sorte de chaos dont les bagarres constituent la partie la plus visible. Ceci est d’autant plus troublant que pendant les récréations, les maîtres ne veulent pas être dérangés par les jeux des élèves afin de pouvoir discuter. La cour de récréation est une friche éducative dont on cherche à limiter les désordres. La vision du comportement des élèves par les enseignants disqualifie les jeux des enfants en récréation. Les interactions, la motricité, les solidarités, les conflits et l’imaginaire qui s’y nouent entre élèves ne concernent pas Sois poli qui disqualifie toute légitimité à la culture enfantine. La situation est d’autant plus troublante que les années d’après 1945 voient la diffusion des travaux du psychologue Jean Château sur l’autonomie des enfants dans leurs choix de jeux. Sa thèse soutenue en 1946 est d’autant mieux connue que la version pour les éducateurs, L'enfant et le jeu, est éditée en 1950 au Scarabée, la maison des Centres d’entraînement aux Méthodes d’éducation active (CEMEA). Sois poli défend un ordre scolaire dont on ne sait pas comment il corrige la corporéité déviante. Le comportement socialement attendu est seulement montré et ici, le film muet donne à entendre les commentaires du maître pendant la projection.

 

Lieux de tournage : Ecole Publique de Sausset-les-Pins (13960), Ecole publique de Bois Luzy (13012).

MOTS CLES

Cour de récréation, norme de comportement, cantine scolaire, éducation civique, jeux, béret

REFERENCES

Jean Château, L'enfant et le jeu, Paris, Scarabée, 1950, 187 p. Préface de Maurice Debesse.

Julie Delalande, « Chapitre 5. La cour de récréation : lieu de socialisation et de culture enfantines », Gilles Brougère éd., Apprendre de la vie quotidienne, Paris, Presses Universitaires de France, 2009, pp. 69-80.

Emmanuelle Gilles, « La cour de récréation à l’épreuve du genre au collège », Géoconfluences, janvier 2021.
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/geographie-espaces-scolaires/geographie-de-l-ecole/cour-recreation-genre

Jean Pruvost, La politesse. Au fil des mots de l’histoire, Paris, Tallandier, 2022, 320 p.

Claire Simon, Récréation, 1993, 54’, [documentaire] prod. : Les films d’ici.

 

04.09.2023

Professeur des collèges et lycées, Nicolas Palluau a enseigné l'histoire de l'éducation physique dans les universités de Marne-la-Vallée, Montpellier I et Nice. Docteur en histoire (La Fabrique des pédagogues. Encadrer les colonies de vacances 1919-1939, préface de Pascal Ory, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 301 p.), il est chercheur correspondant dans l'équipe HEMOC de l'université d'Avignon, Centre Norbert Elias-UMR 8562.

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