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Un restaurant d’enfants

[fin de la décennie 1940] Noir et Blanc, Sonore, 00:06:03, 16 mm
Anonyme, UFOCEL

"Autrefois, le nom de "cantine scolaire" évoquait une œuvre de charité : sorte de soupe populaire pour enfants pauvres." Présentation d'un nouveau modèle de restauration scolaire.


Générique : « un reportage UFOCEL - Un Restaurant d'enfants"

 

Lieux de tournage : La Roseraie à Montgeron (91)

Personnalités (à l’image) : Raymond Paumier

 

Analyse du film par Nicolas PALLUAU :

 Un restaurant d’enfants ou le nouvel art du repas scolaire


Résumé : le film présente le restaurant d’enfants installé dans la maison de la Roseraie à Montgeron (Essonne) par Raymond Paumier après 1945. La consommation des repas est aussi pour les élèves de tous les âges un temps d’apprentissage.


Analyse : L’initiative du restaurant d’enfants vient de Raymond Paumier, instituteur engagé dans les œuvres post scolaires. Après la Libération, le conseil municipal de Montgeron l’installe dans la maison de la Roseraie, aujourd’hui disparue. Le film montre l’originalité du projet, disqualifiant la cantine, rejetée comme « sorte de soupe populaire pour enfants pauvres » par la voix off.

La modernité de l’établissement se manifeste par les machines en cuisine, garantes d’une hygiène parfaite. La cuisinière est, apprend-on, d’un « modèle très récent. » L’originalité du projet réside dans l’organisation de l’espace des commensaux comme lieu éducatif. La Roseraie est une maison bourgeoise avec son entrée au sommet d’un escalier, nécessitant de se hisser pour aller déjeuner dans une des quatre salles à manger. Le mobilier, la décoration et la vaisselle en faïence font l’objet d’un choix rigoureux. Il n’est pas question d’élèves mais toujours d’enfants pour qui s’ouvre le restaurant, déclinaison éducative de l’institution bourgeoise du rituel gastronomique qui doit, selon son initiateur Raymond Paumier, s’imposer dans l’école.

Paumier reçoit l’appui de la municipalité dirigée par la maire Josèphe Jacquiot, une des premières femmes élues à la tête d’un conseil municipal en 1945. Celle-ci mène une ambitieuse politique scolaire qui conduit à l’ouverture de l’annexe du lycée Henri IV à Montgeron voulu par le directeur du second degré Gustave Monod pour accueillir les classes nouvelles.

Le restaurant d’enfants, ouvert malgré les restrictions que connaissent les Français jusqu’en 1949, s’inscrit donc dans l’Education nouvelle dont il reprend le principe de centralité de l’enfant. Le soin mis dans l’égaiement des salles à manger par le bouquet de fleur sur le buffet semble inspiré par les préconisations des bibliothécaires de l’Heure joyeuse à Versailles une génération plus tôt. Dans ce temps et cet espace agréable, la présentation des plats doit aussi attirer le regard des jeunes convives, « de façon à flatter l’œil de l’enfant. »

A juste titre, le film insiste sur la participation des élèves au service et à la vaisselle, mais dont on se demande comment ces activités trouvent leur place dans l’horaire contraint de la pause méridienne. Le film discute en creux la tension entre la collectivité vécue comme un temps d’apprentissage et une rationalité hygiénique et technique toujours plus poussée. Raison pour laquelle le modèle familial s’invite comme horizon de l’imaginaire du repas collectif. A chaque table de six enfants, c’est bien une « maman », ici une jeune fille de quatorze ans, qui s’occupe des plus jeunes et un « papa » qui distribue les aliments. La socialisation par le repas cherche donc à effacer la collectivité scolaire subie pour la remplacer par l’imaginaire du repas de famille, si possible nombreuse.

Raymond Paumier annonce grâce à ce film de propagande assumée une œuvre moderne dont le succès repose sur l’inculcation des normes par l’institution familiale dominante. C’est sans doute qu’après les bouleversements causés par la guerre, la réintroduction du modèle familial rassure par son caractère consensuel. Œuvre moderne toutefois que célèbre le film par l’évocation appuyée de la seule consommation à table d’eau et de lait, accusant en creux la consommation d’alcool qui constitue encore à ce moment une norme en milieu scolaire. Avec ce film l’école publique traduit à nouveau son credo d’ « une alimentation rationnelle dans un milieu éducateur et un climat affectif. »


Mots clés restauration scolaire, cantine, personnel de service, élèves, repas


Sitographie Raymond Paumier (1902-1975), instituteur à Montgeron :

https://www.restauration-collective.com/experts/les-cahiers-de-lhistoire-raymond-paumier-le-pere-de-la-restauration-scolaire/

http://merat.michel.free.fr/montgeron/raymond-paumier.pdf

https://fr.wikipedia.org/wiki/Raymond_Paumier 

Nicolas Palluau, 2024


Professeur des collèges et lycées, Nicolas Palluau a enseigné l'histoire de l'éducation physique dans les universités de Marne-la-Vallée, Montpellier I et Nice. Docteur en histoire (La Fabrique des pédagogues. Encadrer les colonies de vacances 1919-1939, préface de Pascal Ory, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 301 p.), il est chercheur correspondant dans l'équipe HEMOC de l'université d'Avignon, Centre Norbert Elias-UMR 8562.

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