L'aventure de Scopcolor
1969-1976
Créée dans le sillage de Mai 68 et de la grève à l’ORTF, la Société coopérative ouvrière de presse (Scopcolor) a assuré, telle une agence de presse filmée indépendante, la production et la distribution d’un magazine d’information en 16 mm et en couleur baptisé Certifié exact.

La vingtaine d’émissions réalisées entre 1969 et 1972, sur une périodicité mensuelle puis trimestrielle, constitue une production audiovisuelle unique, à la croisée « du reportage de société, du documentaire politique et du document pédagogique »3 (Tangui Perron), sur des sujets de fond qui, partant de l’actualité immédiate, intéressent l’ensemble de la société (le travail, la santé, l’alimentation, la jeunesse, la ruralité, la pollution, l’information, etc.).
L’originalité de Scopcolor tient en outre à la volonté de dépasser l’information en « circuit fermé » de la télévision en proposant « un outil de travail conçu pour, élaboré avec, diffusé auprès de tous les groupes préoccupés d’action sociale et culturelle 4 ».
Disponibles sur abonnement auprès des organisations syndicales (CGT, CFDT, FEN), des mouvements coopératifs et d’éducation populaire (Fédération des Maisons de jeunes, Peuple et Culture, Fédération nationale des foyers Léo-Lagrange, Ligue de l’enseignement), les numéros de Certifié exact bénéficient ainsi d’autant de relais dans le circuit non commercial (comités d’entreprises, sections syndicales, foyers socio-éducatifs, maisons de jeunes, associations de quartier) que de lieux de débats et d’échanges avec les spectateurs.

Si Scopcolor se définit comme la propriété collective de ses membres, professionnels de l’audiovisuel et organisations partenaires, son initiative revient à un homme, Roger Louis (1925-1982).
Ancien enseignant, fondateur des premiers télé-clubs ruraux, reporter du célèbre magazine d’information télévisé Cinq colonnes à la une et producteur novateur à l’ORTF (État d’urgence, Visa pour l’avenir, Les Clés du futur), Roger Louis présente un parcours atypique dans la télévision française des années 1960, qui trouve ses origines dans l’éducation populaire. « Journaliste de rencontre » (Pierre Desgraupes 5) et « médiateur pédagogique » (Brigitte
Jeannin 6), il incarne une figure pour qui « qualitativement, il n’y a pas de différence entre un travail d’information et un travail d’éducation ».
Dès le mois d’avril 1968, il imagine un espace de réflexion disposant d’une relative autonomie au sein de l’ORTF et accueillant des gens d’images, des chercheurs, des représentants syndicaux et des spécialistes de l’action culturelle. Au lendemain de la grève de l’ORTF dont il est partie prenante (L’ORTF, un combat, 1968), cette association acquiert de fait son indépendance et devient le Centre de recherche pour l’éducation permanente et l’action culturelle (Crepac).
À la différence des collectifs de réalisation militants nés de Mai 68, le Crepac n’entend pas suivre une ligne politique ni asséner une vérité définitive. Se voulant une réponse aux « exigences modernes de l’information » et au contrôle des médias par le pouvoir politique, il entend « poser un problème beaucoup plus général et beaucoup plus fondamental, celui de la place et du rôle de la télévision dans la diffusion des idées au sein d’une société comme la nôtre. »
À la fois société de presse et société de production, Scopcolor sera l’outil désigné pour mettre en œuvre ce projet.

L’aventure Scopcolor s’est jouée en dehors du cadre institutionnel, journalistique et télévisuel de l’ORTF, lorsque la télévision était un monopole d'Etat.
Ce second chantier de recherche et de numérisation qui associe Dodeskaden, Pôle argentique et l'Université Sorbonne-Nouvelle (Ircav) vise à en retracer l'histoire et permettre la redécouverte des magazines Certifié exact.
3 Tangui Perron, « À la découverte... Étranges Étrangers ou le cinéma des bidonvilles comme patrimoine », Mémoires d’usines, n° 17, Archives départementales de la Seine-Saint-Denis / Université Paris 13, 2001, p. 3.4 « Certifié exact, qu’est-ce que c’est ? », Certifié exact, catalogue 1979-1980, p. 3.5 Pierre Desgraupes, « Hommage à un reporter : notre amis Roger Louis », Le Nouveau Vendredi, FR3, 24 juin 1982, cité par Brigitte Jeannin, dans Roger Louis 1950-1960 Les années de formation, mémoire de DEA, sous la direction de Francis James, Université de Paris X Nanterre, octobre 1997, p. 87.