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L’Office cinématographique de l’enseignement (OCE) de Marseille

histoire d’un réseau non commercial

 

Ce premier chapitre reconstitue la chronologie de l’histoire de l’OCE de Marseille, depuis sa reprise en 1943 sous la houlette de quatre instituteurs jusqu'à la vogue des ciné-clubs dix ans plus tard.

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OCE de Marseille, 192 rue Horace Bertin en 1999 (Collection Aimée BALIAN - DR)

Ce texte est une première mouture. Il doit beaucoup aux rapports d’activité rédigés par Maurice Philip, directeur de l’OCE de 1943 à 1966 qui ont été confiés à Dodeskaden, ainsi que le fonds de films et d’archives de l’OCE par la Fédération des Bouches du Rhône de la Ligue de l’’enseignement.

Ce texte est destiné à être étoffé au fil de l’exploration des fonds, avec l’aide précieuse des acteurs déposants de l’OCE et des chercheurs investis dans cette Histoire et ses récits. N’hésitez pas à nous contacter pour participer à cette recherche !

Quelques mots sur le « cinéma des instits »

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Fabrication des valises en carton destinées à l'envoi et au transport des copies pour les projections itinérantes - OCE de Marseille, 15 bd Garibaldi, années 1950 (Collection Alain Imbern - DR)

L’objet des offices cinématographiques de l’enseignement (OCE), c’est le cinéma comme moyen d’apprentissage et comme objet de culture. L’opposé du loisir de consommation. Cette approche du cinéma va de pair avec l’idéal d’instruction pour tous et d’émancipation citoyenne portée par les mouvements d’éducation populaire, au premier rang desquels la Ligue de l’enseignement. Les dirigeants et les animateurs des OCE sont pour la plupart des enseignants et des éducateurs engagés qui assurent la classe et animent cet autre temps éducatif que sont les loisirs de leurs élèves. Ils se servent donc du cinéma en classe comme support pédagogique et proposent des séances de cinéma « post-scolaire » avec des films choisis pour leur valeur morale ou/et leur qualité artistique. Cet en-dehors de l’école c’est le domaine de l’éducation populaire. C’est aussi celui du hors travail et le public est alors celui des adultes et des jeunes (l’école est alors obligatoire jusqu’à 14 ans).

« La tradition veut que le foyer de culture d'un village ou d'un quartier soit l'école. De ce fait, nos 245 installations scolaires se mettent les jeudis et dimanche soir au service de la post-école (…) : le cinéma du jeudi et du dimanche pour enfants et le cinéma du soir pour adultes. Le premier utilise surtout le documentaire et le film de court métrage comiques. Le second utilise à peu près exclusivement le film de grand métrage. » (M.Philip, 1954)

En 1943, au moment où ce récit commence, les forces gouvernementales issues de la Résistance - dans toutes leurs composantes - sont favorables à l’éducation populaire. L’éducation et la culture pour tous (comme le vote des femmes) apparaissent alors comme des ferments indispensables pour assurer au pays une majorité d’esprits libres et armés contre la tentation totalitaire. La relance des OCE est donc souhaitée, appuyée, encouragée par l’Etat. A ce titre, ces associations ont droit au soutien et à des attributions directes du Ministère de l’Education nationale comme les postes d’oeuvres ou la franchise postale.

L’OCE de Marseille bénéficie pour sa relance de quatre postes d’oeuvres, soit quatre instituteurs détachés à plein temps pour la faire fonctionner : Maurice Philip, Guy Roustan, Auguste Pellet et Charles Nivière ne remettront plus les pieds dans leur classe. Ils sont désormais à la barre de l’OCE avec le même souci d’éducation et de service public. Le 18 juillet 1944, "l'instituteur public détaché à la direction de l’Oeuvre du cinéma éducateur des Bouches-du-Rhône", Maurice Philip boucle son premier rapport d’activité sur papier pelure ...

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Préparation d'un envoi de copie - OCE, 15 bd Garibaldi, années 1950 (Collection Alain IMBERN)

Chapitre 1. de la relance du cinéma éducateur à la vague ciné-clubiste (1943-1953)
1943 - 1949 : La relance d’une Oeuvre

« L’Office Cinématographique succède à l’Oeuvre du Cinéma Educateur créée par le pseudo gouvernement de Vichy. Les statuts imposés à ce dernier organisme et acceptés pour éviter une mise sous séquestre en 1944, avaient un caractère étriqué peu en rapport avec le programme ambitieux et hautement éducatif qu’entendaient réaliser les fondateurs de l’Office cinématographique de 1931. Nous avons donc effectué les démarches nécessaires pour reprendre cette tradition fâcheusement interrompue » (Extrait du rapport d’activité de Maurice Philip pour l’année 1944-1945)
 Les trois années qui suivent sont celles de l’organisation et de la remise en route de l’Office. Le local, récupéré dans un « état repoussant de saleté et de délabrement », est remis en état grâce aux services municipaux à la Libération. L’installation du téléphone, l’achat d’une machine à écrire et l’installation d’une salle de projection pour visionner les films dans la salle de conférences de l’école de la rue Puget sont alors de nouvelles et grandes facilités pour la poignée d’instituteurs qui s’échine à relancer les activités de l’OCE, 23 rue Albert Chabanon (6e arrdt.)

1er rapport d'activité de Maurice Philip, 18 juillet 1944, Marseille (Fonds FAIL 13 / Dodeskaden)

Refaire un fonds de cinémathèque et d’appareils

D’abord en récupérant et en réparant tout ce qui peut l’être. En 1944, Maurice Philip recense un matériel limité et très usagé » : 17 appareils de projection muets, un projecteur 35 mm sonore réparé à l’école de la rue Puget, un en passe de l’être au collège Michelet, un autre à l’école pratique et 6 appareils de projection sonores destinés à être répartis dans 6 centres scolaires. En 1946, son ambition est d’acheter deux nouveau appareils complets avec trois commutatrices et une camionnette : « Ce matériel nous permettra de projeter dans le Département à raison de 6 séances par jour. » L’année suivante, il espère la mise sur le marché d’un appareil sonore peu cher (15.000 Fr.) et l’inspecteur d’académie, M. Payan, charge l’OCE d’instruire les dossiers de demande de subvention pour l'achat d’appareils pour les écoles. L’OCE joue aussi les intermédiaires pour les oeuvres post-scolaires, fait ses études auprès des fournisseurs locaux et peut s’appuyer sur l’expertise et les commandes groupées que la section cinéma de la Ligue de l’enseignement (l’UFOCEL) met en place pour ses offices au niveau national.

La réparation, l’entretien des films et des appareils sont un des services essentiels mis d’emblée sur pied par l’office, qui embauche, dès 1948 une vérificatrice et acquiert pour 47.000 Fr. de matériel accessoire de projection afin d’« amplifier le service d’achat par la constitution d’un stock des pièces les plus rares et les plus vulnérables de manière à dépanner rapidement nos adhérents ».

Edmond Lanteri, réparation à l'OCE.

(Collection Alain IMBERN - DR)

Du stock au répertoire

Côté films aussi, dans l’immédiat après-guerre, on attrape ce qu’on peut attraper et on récupère ce qui est récupérable. Et d’abord, ce qu’il reste des collections de l’OCE d’avant-guerre, copies 35 de films muets, qui font l’affaire des premières séances. Maurice Philip sollicite en premier lieu les ministères qui ont des cinémathèques de films éducatifs : ceux de l’Education nationale, de l’information, de la Santé publique et de l’Agriculture. Il leur propose de prendre leurs films en dépôt, d’en assurer la circulation… et d’éviter ainsi aux éducateurs qui en sont les principaux emprunteurs d’avoir à « frapper à trois ou quatre portes différentes pour constituer un programme ». Tandis que certains, comme la Santé ou l’Agriculture, tardent à répondre, le Musée pédagogique qui dépend du Ministère de l’éducation nationale expédie dès 1946 « 250 kgs de films muets de 35 mm, 23 films 9,5 mm et 7 films sonores en 35 mm » ! L’apport du Musée pédagogique demeure conséquent d’année en année et Maurice Philip loue son directeur Marcel-Charles Lebrun « pionnier du cinéma éducateur, entièrement dévoué à nos oeuvres, membre lui-même du Bureau National de l’UFOCEL ».

« 250 kgs de films muets de 35 mm, 23 films 9,5 mm et 7 films sonores en 35 mm »

D’autres portes institutionnelles s’ouvrent et fournissent à l’OCE des programmes « frais » comme la Croix rouge (dont, en retour, il relaie les campagnes de déminage et de dératisation), la ligue maritime et coloniale et les délégations d’ambassade à Marseille. Parmi elles, le « Le service américain d’information » dispose d’un très grand nombre de films éducatifs » et propose même de se charger des projections ou de mettre à disposition ses appareils. L’OCE visite aussi les services de Grande Bretagne, Suède, Russie, Suisse et se félicite de faire connaître des pays étrangers à la jeunesse provençale.

« Outre les films des nombreuses délégations que nous possédons, nous avons obtenu le couronnement de nos efforts puisque par une lettre spéciale, le Directeur du Musée pédagogique nous faisait savoir que c’était grâce à nos efforts et nos initiatives, qu’après bien d’autres nations, la Tchécoslovaquie allait procéder à l’échange de films d’éducation et d’enseignement avec la France. » (Maurice Philip, rapport d'activité de l'OCE pour l'année 1947-48)

Pour engranger des films « éducatifs », l’OCE démarche aussi des sociétés de production et des entreprises commanditaires. France-Actualités est prête à donner à l’Office des bandes hebdomadaires périmées, dont Maurice Philip prévoit « que de judicieux découpages permettront de monter en films de courts métrages autour d’une idée centrale : Fête folklorique, notre Empire… la joie du sport, etc. ». Mais ce dernier don est différé, le support en nitrate de cellulose inflammable des bobines 35 mm nécessitant au préalable la construction d’un blockaus ad hoc. Cependant, dès 1951, et alors que l’Office a retrouvé davantage de marge de manoeuvre, Maurice Philip cerne avec plus d’exigence ces premières sources de dépôts : « il y a bien évidemment nécessité de faire un choix dans leur distribution ». Et en 1952 : « nous nous réservons le droit de ne les distribuer qu’autant qu’ils ne traitent de propagande ou de publicité. » Ce qui n’empêche pas la prise en don ou dépôt d’institutions et d’entreprises. En 1954, Philip recense ceux de la Chambre de commerce de Marseille, de la Chambre syndicale des métiers fondeurs, de la Ville d’Aubagne et de la Ville d’Arles.

L’achat de films est l’obsession des premières années de remise à flot de l’OCE et sera rapidement son premier poste d’investissement. Ses achats concernent le cinéma scolaire, mais très vite aussi l’achat et la location de films « récréatifs » « très demandés pour compléter un programme scolaire ou constituer un programme post-scolaire. Pour la location de films à la séance, la négociation se fait avec les distributeurs ou « agences de location » en tâchant de faire entendre dans la négociation le caractère non lucratif des séances qu’organisent l’Office.

Réorganiser des circuits de diffusion en projetant

En plus de refourbir un stock de films éducatifs et culturels et de dénicher un maximum d’appareils de projection, l’OCE est à l’initiative de nombreuses séances de cinéma. Dans l’esprit de leur directeur, Maurice Philip, ces séances n’auront qu’un temps, celui pour que tous les établissements scolaires et les associations post-scolaires se ré-équipent et que se reconstituent des circuits de diffusion du cinéma éducatif et culturel. Dans ce but, l’OCE met en place deux dispositifs qui auront la vie longue :

Le cinéma en classe : Les séances de démonstration ou séances pédagogiques

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Auguste Pellet - projection dans une école hors de Marseille - "Activités de l'Office" (2e partie), 1948.

Elles sont organisées dans les établissements scolaires. L’OCE propose une formule de quatre programmes en 16 mm adaptés aux quatre cours de l’enseignement primaire : « aux petits (CP et CE), aux grands (CM et CS), aux cours complémentaires et aux écoles maternelles qui en faisant la demande. » Ces séances de « leçons filmées » sont pensées pour faire la démonstration aux enseignants de l’équipement du cinéma, de son fonctionnement en classe, et de son utilité pédagogique : « Ces séances font affluer les commandes d’appareils « au rythme d’un par semaine. » (Rapport d’activité de l’OCE pour l’année 1947-48). Un an plus tard, leur nombre a plus que doublé, Maurice Philip : 318 séances de 120 personnes en moyenne, qui obligent l’OCE à employer deux tourneurs en plus des instituteurs détachés. Et, en 1950, ce sont 8 séances quotidiennes qui font travailler trois tourneurs professionnels pour un total de 402 séances à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône : à Istres, Marignane, Martigues, Port-de-Bouc, Salon, Miramas, Berre, Aubagne…

Les écoles au cinéma - Les séances récréatives à caractère éducatif

En 1947, les écoliers de Marseille peuvent voir en salle : "Les Malheurs de Sophie" de Jacqueline Audry (1946), "Elephant Boy" de Robert Flaherty et Zoltan Korda (1937) et "Le Dernier des Mohicans" de George B. Seitz (1936)

Elles sont organisées dans le temps scolaire pour les écoles primaires, mais dans des salles de cinéma de quartier. Il s’agit de montrer aux enfants des films choisis pour leur valeur morale ou artistique et satisfaisant, selon Maurice Philip, le goût qu’ont les enfants pour le cinéma, et constituant en même temps, dans le temps scolaire, « une sorte de récompense attribuée au travail du trimestre. » La première année, le découpage en secteurs de la ville de Marseille rend laborieuse la mise point de ces tournées, de même que les réquisitions nombreuses des salles commerciales par l’armée, mais le directeur de l’office consigne tout de même un total de 50 salles ayant accueilli 50 000 élèves. L’année suivante, 120 séances et 65.000 spectateurs (une moyenne de 540 spectateurs par séance !) Cependant, à la cadence d’une séance par mois, se procurer des copies 35 mm de films commerciaux adaptés à l’âge des enfants n’est pas une mince affaire et les frais de copies et de salles reviennent cher. L’OCE réduit la voilure, mais conserve une formule dont le succès ne se démentira pas : 3 séances par an et par école.

Le cinéma post-scolaire
 

Dans le même but incitatif que les « séances scolaires de démonstration », l’OCE organise des « séances post-scolaires d’aide au démarrage » qui font connaître la cinémathèque de l’OCE et proposent aux "sociétés post-scolaires » de s’équiper. En 1948, Philip se félicite de l’augmentation des licences UFOCEL délivrées et l’effort administratif développé par l’OCE pour répondre aux demandes des « sociétés post-scolaires ». : renseignements, demandes de subventions, fichier des usagers, délivrance des licences UFOCEL. L’OCE joue les intermédiaires entre l’usager et les assurances sur les films, les agences de location des films, les fabricants ou revendeurs et les réparateurs d’appareils .

« Nous avons pu remettre sur pied le cinéma dans de nombreuses sociétés d’A.I.L. [Amis de l’instruction laïque], et nous leur fournissons en même temps, des programmes à très bas prix (de 45 à 90 Fr.). » (rapport pour l’année 1945-1946)

L’OCE s’acquitte de son rôle de cinémathèque de diffusion principalement de deux façons : Comme intermédiaire auprès de distributeurs commerciaux avec lesquels elle négocie des programmes et des droits pour ses adhérents. En 1946-1947, Philip décompte la location de 250 films en 35 sonore pour des séances post-scolaires et pour 61.000F de films commerciaux pour le compte de l’OCE (autrement dit cinéma pour les écoles). En 1949, ce sont 400 films et 105.000 Fr. En 1950, il se félicite avoir fait entrer les Foyers ruraux dans le « circuit de programmation commerciale » de l’OCE. Comme adhérent de l’Union de l’Union Française des Œuvres du Cinéma Educateur Laïque (UFOCEL) attachée à la Ligue de l’enseignement Dans ce cadre, l’OCE de Marseille peut acquérir, comme les autres OCE, les droits non commerciaux de « grands films » à valeur culturelle ou éducative qu’elle peut louer directement à ses adhérents (l’UFOCEL privilégie le support 16 mm et l’OCE abandonne la distribution 35 mm en 1952).

Affronter le cinéma commercial

Hors du périmètre de la classe, l’OCE affronte la difficulté de diffuser de façon non commerciale et néanmoins légale (le cinéma militant s’y est déjà cassé les dents). La difficulté est avérée pour la programmation des séances d’écoles au cinéma : non seulement à cause de la cherté de location des films et des salles, mais aussi à cause de la période d’exclusivité commerciale qui empêche la location de films plus récents « et qui ne sont pas encore passés dans les salles où doit avoir lieu la projection ». Les séances organisées par l’Office ou par ses adhérents - ciné-clubs d’établissements ou associatifs - sont accusées d’être une concurrence déloyale vis-à-vis des salles commerciales. « Evidemment , nous avons dans ce domaine beaucoup de difficultés ; certaines agences ne veulent pas louer leurs films à ces sociétés sous prétexte qu’elles entrent en concurrence avec le tourneur professionnel de l’endroit » Cette fronde des professionnels contre les ciné-clubs se joue à l’échelle nationale. Certains dénoncent des séances de ciné-clubs au fisc en les accusant de frauder indûment la taxe sur les spectacles et divertissements, sous couvert de leur activité « non lucrative » (et le Fisc se montre enclin à leur réclamer ces sommes). Ils dénoncent aussi les ciné-clubs de jouir du privilège de pouvoir passer des films sans visa d’exploitation. L’OCE de Marseille, bénéficiant de l’appui de l’UFOCEL (Maurice Philip est élu au bureau national en 1946), joue les intermédiaires pour contenir localement ces conflits et régler les problèmes de location rencontrés par ses adhérents.

« L’expérience nous prouve qu’il est plus difficile d’avoir du film que d’acheter un appareil ».

« le film de gangster est désormais banni des colonies de vacances »

A contrario, Maurice Philip sait se montrer offensif lorsqu’il s’agit de chasser les marchands du temple du périmètre des oeuvres scolaires, et en particulier des colonies de vacances dont il s’attache à évincer les « tourneurs professionnels qui passent aux enfants, plus ou moins clandestinement, le film de leur tournée commerciale sur le choix duquel il y a trop souvent à redire. » Pendant les grandes vacances de 1950, Philip signale que 95 programmes ont été fournis par l’OCE pour 14 colonies. Et quand, en 1954, les colonies équipées et adhérant à l’UFOVAL et à la JPA passent par l’OCE pour composer leurs programmes, il annonce crânement « le film de gangster est désormais banni des colonies de vacances »

Cinq ans après sa relance, l’OCE énumère avec fierté ses réalisations pour l’année 1949-50. A cette date, l’OCE est assurément un acteur de la diffusion culturelle à l’échelle des Bouches-du-Rhône. Elle revendique de l’être au niveau régional dès 1946. Maurice Philip rapporte « l’Organisation de circuits cinématographiques, de prêts de copies aux usagers individuels ou aux sociétés post-scolaires dans les Alpes maritimes, Var, Vaucluse, Basses Alpes… Sauf en « Corse empêchée à cause des problèmes de transport. » Mais, le même regrette en 1949 que les tarifs négociés par l’OCE de Marseille auprès d’agences de location n’aient pas plus servis, faute de cohésion régionale au niveau de la programmation. Ce qui tend à montrer que le niveau régional est un défi de plus longue haleine. L’OCE est alors subventionné principalement par la mairie de Marseille, la Préfecture puis le Conseil général des Bouches-du-Rhône qui comptent un représentant à son conseil d’administration. De même que le Syndicat national des instituteurs (SNI) depuis 1946.

215 séances d’écoles au cinéma (107.000 spectateurs) 402 séances pédagogiques (40.000 spectateurs) 4.287 mouvements de copies tous supports confondus en tant qu’intermédiaire ou en direct… et 9.163 prêts de films fixes !

En manque d’espace chronique depuis ses débuts, l’OCE emménage le 20 décembre 1949 dans de nouveaux locaux au 15 bd Garibaldi (1er arrdt), dans les annexes de la chapelle du lycée à Thiers (Collection Alain Imbern, Tous droits réservés).

1950 - 1954 : La percée des ciné-clubs ou les noces de la cinéphilie et de l’éducation populaire

Dans ses nouveaux murs, l’OCE peut déployer ses services et en ouvrir d’autres : bibliothèque, discothèque, service de réparation, et d’abord sa salle sonorisée de 40 places équipée d’une cabine de projection et de deux appareils au rez-de-chaussée. Les éducateurs peuvent ainsi venir visionner et rédiger des fiches sur les films le jeudi. Dès son emménagement, cependant, l’OCE est en perpétuelle extension et ne cesse de « repriser » ses locaux. En 1953, c’est une salle de projection de 80 places qui est mise en service au 3e étage et à disposition des usagers de l’OCE. Et elle est aussitôt occupée presque tous les soirs par des associations de parents d’élèves du primaire, technique, secondaire ou bien par les professeurs du lycée de Marseilleveyre, le Comité de la Quinzaine laïque, les Francs et franches camarades, ou bien les organisations mutualistes de l’enseignement, etc.

Vérification et maintenance des copies 16 mm à l'OCE de Marseille, 15 bd Garibaldi, dans les années 1950.

Vérificatrices en plein travail : au premier plan, Mme BEAUMADIER et au second, Mme ORTEGA (Collection Alain Imbern - DR)

Premières manifestations de l’OCE « devant servir à l’information des éducateurs »

Stage d’information du 12 au 14 mars 1953 : Les 60 participants ont droit à un programme assez complet, quoique Maurice Philip regrette d’avoir du l’écourter faute de disponibilité suffisante des locaux : Jour 1 : Culture et cinéma (professeurs de lycée : Chavannes, Roubaud, Bois et Garcia membre du comité directeur du Ciné-Club Adultes) Jour 2 : Pédagogie et cinéma (Lefranc et Labat, CNDP) Jour 3 : Technique et cinéma (Labourgogne, CRDP de Toulouse)

Exposition du 20 avril au 2 mai 1954 : « Le magnétophone au service de l’enseignement » a lieu dans la chapelle désaffectée du lycée Thiers avec 20 exposants venus faire la démonstration de leur matériel. Ce mini salon est complété, le 10 juin 1954, par deux conférences pédagogiques sur le maniement du magnétophone (M. Labourgogne technicien du CRDP Toulouse) et sur ses possibilités dans l’enseignement du français et des langues vivantes (M. Labat, professeur spécialisé du Centre audiovisuel de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud)

Ces manifestations accompagnent l’équipement matériel de l’OCE et la formation continue de ses responsables : 1950-1951 : En plus du matériel de diffusion sonore déjà acquis, l’office achète « un matériel complet d’enregistrement en l’espèce d’un magnétophone sur film magnétique. "Nous enregistrons actuellement trois de nos films à l’aide de cet appareil. » considéré comme utile pour le chant, les langues et aussi la constitution d’archives sur manifestations passées. 1951-1952 : l’OCE répond à la demande accrue des écoles pour sonoriser fêtes, kermesses et distributions de prix. Enregistrements pour films, chorales, reportages, compagnies d’art dramatique, discours. 1953-1954 : l’OCE est amené à prendre le relais du service de sonorisation municipal pour les établissements scolaires. Et assure aussi des services aux sociétés post-scolaires laïques. Cette même année, Maurice Philip suit un stage sur la télévision (à ses débuts) et Guy Roustan une semaine de formation à l’école normale d’audiovisuel de St-Cloud afin de diriger la réalisation d’un premier film pédagogique co-réalisé par le CNDP et l’OCE de Marseille ("Collines de Provence").

« Acquisition de 2 têtes magnétiques que nos opérateurs utilisent pour passer les films que nous avons nous-mêmes tournés et enregistrés »

Extension des collections et du domaine des ciné-clubs

« Grâce à la nouvelle formule qu’il [le CNDP] vient d’adopter en matière de diffusion cinématographique, nous allons recevoir une très grande quantité de films qui nous permettront désormais de satisfaire intégralement et gratuitement toutes les demandes de films d’enseignement »

En 1950, Maurice Philip conclut son rapport tenaillé par l’appréhension que la collection de films scolaires de l’OCE ne suffise pas à la demande des établissements adhérents. Car, la loi Barangé promulguée en 1951, outre qu’elle soulève une levée de boucliers du camp laïc en rendant possible la subvention de l’enseignement privé (cf "Guerre Scolaire"), apporte aussi des subventions à l’équipement scolaire, cinéma et radiophonie inclus. Maurice Philip redoute que l’OCE ne soit victime du succès de cette ligne budgétaire enfin accordée, et ne se trouve dans l’incapacité de fournir à tous en même temps les mêmes titres de films portant sur un sujet abordé dans le programme scolaire. Pour éviter de tels embouteillages, l’OCE impose un trimestre d’avance pour les commandes. Hors cette alerte logistique, l’Office a de quoi se réjouir : ses ressources en matière de films didactiques semblent désormais assurées par le Centre national de documentation pédagogique (CNDP), qui prend la suite du Musée pédagogique et lui fournit la majeure partie de ses films didactiques

« Nous sommes puissamment aidés par cette administration dans le domaine pédagogique par 2 de ses publications : le bulletin trimestriel de l’Enseignement audio-visuel ; les 4 pages hebdomadaires consacrées au film, au magnétophone, aux disques, à la projection fixe de l’Education nationale » (Rapport d'activité de l'OCE 1953-54).

Grâce à ses acquis et à ces apports nouveaux, l’OCE atteint un seuil critique qui lui permet de publier son premier répertoire de films 16 mm avec 811 sujets ou films disponibles au prêt. Les trois catégories les plus fournies sont les films de sciences (89), les grands films de long métrage (79) et exequo les films de sport et les films culturels et récréatifs de court métrage (73) - Fonds OCE de Marseille / Dodeskaden

Parallèlement, l’office de Marseille poursuit ses séances de démonstration. En 1951, il s’en tient aussi à Aix, la Ciotat, Plan de Cuques, Allauch, Gardanne, Port saint-Louis du Rhône, Septèmes, Camp-major, Les Cadeneaux, la Gavotte… Preuve du succès : en 1951, 108 appareils 16 mm sont en fonctionnement dans l'académie d'Aix : 72 dans le 1er degré, 11 dans le 2nd, 17 dans l’Enseignement Technique, 7 dans les Ecoles normales et 1 dans l’enseignement supérieur. En 1952, Maurice Philip précise que les villes d’Aubagne, Camp Major volent de leurs propres ailes car elles sont désormais équipées, tandis que le nombre de séances de démonstration a doublé, à 16 séances quotidiennes (Géménos, Eyguières, Sénas, Les Milles, St-Cannat, Eguilles, Roquevaire…et dans les deux années suivantes : Logis neuf, Les Granettes, Bouc Bel Air, Puyricard, Tarascon. ..) En 1954, il décompte 123 établissements scolaires équipés de projecteurs dans les Bouches-du-Rhône et 248 dans l'académie d’Aix.

« On ne peut nier la valeur convaincante de ces démonstrations puisque jusqu’ici toutes les écoles ont demandé l’achat d’un appareil de cinéma pour l’utilisation des crédits Barangé. »

L’optimisme est de mise, même si Maurice Philip déplore l’application défaillante de la loi Barangé qui a contribué à faire chuter le nombre d’adhésions de 3 par semaine à 1. « un appareil coûte cher, l’entretien d’un appareil est onéreux, il est nécessaire de prévoir l’abonnement à la Cinémathèque centrale pour les films didactiques, il faut prévoir un certain crédit pour les films documentaires et culturels à l’Office.. Tous ces frais étaient couverts par les communes à l’aide des crédits Barangé les années précédentes. » Mais, ajoute-t-il, la réaffectation non contrôlée de ces crédits alloués aux communes par certains conseils généraux, a entrainé une chute des cotisations et des achats. Par ailleurs, le directeur de l’OCE réclame d’année en année qu’une part de la taxe d’apprentissage soit reversée à l’OCE de Marseille et contribue à son financement, comme c’est le cas pour d’autres dans d’autres régions.

Une envie de cinéma plus exigeante

« Le film didactique, s’il reste bien dans le cadre pédagogique de notre enseignement est quelque fois austère. Il serait à craindre que l’intérêt de l’enfant pour l’art cinématographique ne soit quelque peu émoussé, or, plus que jamais, depuis l’envahissement de nos écrans par les films de gangsters, il est nécessaire d’aiguiser l’esprit critique de nos élèves et il est indispensable de les intéresser au beau et au sain, deux choses que le cinéma commercial leur laisse généralement ignorer, avec lesquelles nous voulons les mettre en contact. »

A propos des séances de démonstration, Philip indique en 1953 que l« La formule préférée est à présent de demander aux maîtres de choisir le film qu’ils désirent projeter. « C’est une forme de collaboration plus active de la part du maître, puisque l’initiative dans le domaine du cinéma pédagogique leur revient entièrement. » Certains professeurs, ajoute-t-il, souhaitent désormais utiliser le cinéma pour l’heure d’étude surveillée. Et d’autres demandent la projection de grands métrages « pour illustrer ou résumer en images un chapitre d’histoire, un cours de géographie, une oeuvre littéraire pour le secondaire, avec des films tels que "La Marseillaise", "Duguesclin", "Nyla le lapon", "nanouk l’esquimau", "L’Eternel retour", "Le Silence de la mer", "Le médecin malgré lui", ou "Gaspard de Besse." Il se réjouit donc de voir que le travail volontariste de l’OCE porte ses fruits et de constater que le mouvement s’inverse : ce sont les enseignants qui viennent à l’office pour demander des films et non l’office qui vient leur en démontrer l’intérêt. Mais, cette inclination plus forte et plus exigeante des enseignants pour le cinéma « oblige » aussi l’OCE à se porter au-delà de la frontière professorale séparant film récréatif et film didactique, film pour le loisir et film pour l’école.

En 1954, le constat s’affirme : « les films didactiques de sauraient suffire à notre enseignement ». Et Maurice Philip annonce l’achat de 267 nouveaux sujets documentaires. Support d’enseignement moins didactique, mais genre cinématographique à la fois plus créatif et attrayant et dont l’enseignement doit apprendre à tirer parti. Maurice Philip note aussi le « très grand développement que prend le cinéma comme moyen de culture dans les établissements du second degré, et ceci dès 1951. Treize lycées et 3 écoles normales ont maintenant leur Ciné-Club. la projection se fait en général le samedi après-midi. Elle est suivie d’un débat, où sans distinction, professeurs et élèves font valoir leur point de vue ».

Les écoles après la classe : foyers de culture et de cinéphilie

« La Ligue de l’enseignement sur le plan national nous avance chaque année plusieurs millions pour l’achat en commun de nos films. C’est encore sa section. UFOCEL qui groupe aux meilleures conditions nos commandes de matériel, intervient auprès du CNC, de l’Administration des finances pour toutes les difficultés résultant de nos activités. Cette association nous rend donc d’inestimables services. » En mars 1950, l’UFOCEL devient la seconde Fédération de ciné-clubs habilité par le CNC à diffuser la culture par le film depuis la création du statut du cinéma non commercial au JO en septembre 1949. Dans son rapport pour l’année 1950-1951, Maurice Philip annonce son intention de cesser d’avoir recours aux agences de location à compter de l’an prochain pour appliquer désormais le décret de septembre 1949 sur le cinéma non commercial. Au plan national, une programmation inter-offices se monte sous l’égide de l’UFOCEL : 31 grands films tirés en de nombreux exemplaires « ont pu alimenter les 5000 appareils de l’ensemble de la France et les 200 pour l’académie d’Aix » Pour l’année suivante, l’acquisition de 35 « grands films français » est prévue qui assureront à nos usagers une programmation d’ensemble d’une qualité incomparable ». Evidemment, ceci ne va pas sans difficultés. Et en 1952, elles vont aussi crescendo :

« Aux 38 grands films culturels acquis l’an dernier, nous venons d’ajouter pour la programmation de l’année scolaire 1952-1953 23 nouveaux films de qualité que les 17 Offices de France ont choisi après vision parmi 100 autres au cours d’une réunion tenue au château de Boisy au mois de février 1952." « Nous avons maintenant une programmation de films uniforme pour toute la France, un bulletin national mensuel de haute tenue culturelle très apprécié, notre fichier national avec une cotation de la valeur des films qui nous est propre. »

« L'industrie cinématographique était près de convaincre le CNC d'avoir à supprimer le bénéfice de la distribution des films aux offices. La situation était grave car des millions de films que nous possédions nous auraient purement et simplement été retirés sans compensation.

"La plupart des agences ont reçu l’ordre de ne plus nous louer de films, les producteurs celui de ne plus nous en vendre. Les tourneurs professionnels mènent une guerre de tous les jours à nos usagers et le CNC sur leur dénonciation contrôle strictement les séances. cependant, grâce aux ordres que nous avons donnés, nos usagers se sont pliés généralement à toutes les exigences de la réglementation et toutes les affaires ont pu se régler sans dommage pour eux comme pour nous. Nous devons demeurer sur une stricte vigilance et ne pas tolérer aucun manquement de la part de nos usagers si nous voulons conserver le statut du cinéma non-commercial si difficilement acquis, si âprement défendu et violemment attaqué. » Et en 1953 : l’UFOCEL a été attaquée de tous les côtés par « la corporation cinématographique qui ne veut voir en nous que des concurrents détaxés ». L’UFOCEL a fait front mais a du abandonner sous leur pression et leurs menaces l’exploitation de 10 grands métrages (perte de 500.000F). En 1954, les OCE réagissent avec panache à ces entraves en créant… une société commerciale de distribution : Citévox.

"Les Offices ensemble ont donc créé hors de leur administration une SARL au capital de 5.200.000 francs (capital exigé pour être distributeur). Chaque Office a pris un nombre égal de parts. Cette société administrée par des représentants de chaque Office se substitue à l'Office pour les opérations commerciales. Ainsi sont sauvegardés la légalité et nos droits. C'est dans le cadre de cette nouvelle organisation que nous avons préparé les achats de nos films pour 1954-55. Sans donner les titres de nos acquisitions, il s'avère que notre programme sera cette année d'un choix et d'un niveau jamais atteint. » (M. Philip, 1954)

Films éducatifs et documentaires : 1.998 (dont 558 au CNDP) Grands métrages : 160 Prêts de films : 11.300 Disques : 1.006 (1.800 prêts) Films fixes : 6.000 (10.800 prêts) Séances pédagogiques : 1.556 Séances récréatives : 216 245 ciné-clubs d’établissements scolaires Personnel : 14 personnes (dont 4 instituteurs détachés aux postes de direction)

Bras commercial de la Ligue de l’Enseignement… à visée non commerciale, Citévox sera désormais la société de distribution des OCE, mais aussi leur prestataire de matériel cinéma et même une société de production de courts métrages déclarée au CNC. Celui-ci exige de la ligue de l’enseignement qu’elle clarifie et consolide ses liens avec les OCE. Il s’agit de pouvoir justifier d’un contrôle de leur activité en cette heure mouvementée de légalisation de l’exploitation non commerciale du cinéma. Un changement de statuts s’ensuit qui s’inscrit dans le changement de dénomination de l’UFOCEL et des OCE en acronymes à peu près aussi difficiles à mémoriser : UFOLEIS (Union française des œuvres laïques pour l'éducation par l'image et le son) et OROLEIS (Office Régional des Œuvres Laïques d'Education par l'Image et le Son). Et, « après dix ans d’existence légale » (déclaré au JO le 15/06/1945), l’OCE devient le 10 mai 1954 - quoique momentanément - l’OROLEIS de Marseille.

PROCHAIN CHAPITRE : de la fièvre des ciné-clubs à l’étatisation du cinéma culturel 1955-1968.

 

Timbres d'adhésion à l'UFOLEIS (Fonds OCE de Marseille / Dodeskaden)

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